Dieu compte sur moi, pour sa joie !
Interview accordée à Vie Chrétienne en 2006
Recueillie par Blandine Dahéron
Frère Anthelme, 83 ans est l’un des doyens de l’abbaye cistercienne de Tamié, en Savoie, où il est entré il y a soixante ans. Aujourd’hui, malgré une santé affaiblie et la maladie de Parkinson, il témoigne d’une foi joyeuse et profonde. |
Vie chrétienne : « Qu’est-ce qui habite votre quotidien, aujourd’hui comme frère âgé ? »
Frère Anthelme : « Je vis au rythme des prières de l’abbaye, mais je dors jusqu’à 5heures car je n’ai plus le droit de me lever pour les vigiles. J’aide à la cuisine pour éplucher les légumes le matin. Après le déjeuner, je fais une petite sieste. L’après-midi, je confesse et reçois en rendez-vous. Les confessions sont ma joie : transmettre le pardon et la joie du Seigneur. Médisances, gourmandises, paresse, petites et grandes fautes partent dans la grande lessive de la confession. La seule chose qui compte, c’est que nous sommes là pour la joie de Dieu. C’est important. C’est une réalité que l’on oublie trop souvent. Je suis aimé. Dieu compte sur moi pour sa joie. Il m’a choisi pour sa joie. »
Vie chrétienne : « Vous parlez toujours de la joie, mais ce n’est pas si simple ! »
Frère Anthelme : « C’est vrai, il y a des jours où ça ne va pas… Je suis inquiet pour mes oreilles qui entendent mal, il y a les tracasseries de la vie, des tempêtes en moi. Pourtant, je crois que Dieu nous a créés pour sa joie. Il s’agit de la vraie joie, de la joie profonde, pas des petites joies superficielles. Cette joie est un combat. Je connais des moments de cafards terribles… En ce cas, il ne faut pas rester seul. Faire une petite prière à l’église, aller à la rencontre du Saint Sacrement. Il en sera heureux. Je prie Marie ‘cause de notre joie’, je lui confie mon désir d’être cause de sa joie, de celle de Dieu et de l’univers entier. Même si je ne la ressens pas ces jours-ci. On m’appelle le père ‘la joie’, ou ‘frère joyeux’. Disons que je suis toujours ‘joyeux dans l’espérance’, comme le dit saint Paul. »
Vie chrétienne : « Marie tient une place très importante dans votre vie... »
Frère Anthelme : « Il faut passer par Marie ; elle arrange toujours la chose. Demande lui ‘ce qui est le mieux pour toi’, surtout si tu ne sais pas quoi demander. Elle t’aime plus que tu ne t’aimes. Nous avons tant d’intentions de prières ! Je vais aussi saluer le Saint Sacrement : je lui rends des petites visites plusieurs fois par jour. Le Seigneur m’a inventé pour la prière. Dans la prière, même si je ne sens pas ma propre prière, je sens la prière des autres ; elle me porte. C’est un petit rayon de soleil. « Quoi que vous demandiez maintenant, croyez que vous l’avez déjà obtenu et vous l’aurez ! » La foi grandit, mais on ne la sent pas toujours. La grande tentation, c’est le doute. Quand tu ne te sens pas bien, prie ! »
Vie chrétienne : « De quoi souhaitez-vous rendre grâce ? »
Frère Anthelme : « Je dis merci à Dieu pour tout, même pour la tempête intérieure que je vis depuis trois jours. Thérèse de l’Enfant Jésus a dit : « Tout n’est peut être pas bien, mais tout est grâce ». Pendant la guerre, j’ai été blessé. Je ne sais comment je m’en suis sorti. Chaque nuit, un verset du psaume 90 me revient, que je redis à ma façon : ‘le Seigneur a donné mission à ton ange de veiller sur chacun de tes pas’. Mon ange est mon meilleur ami. Il a veillé sur moi pendant toute la guerre et il continue encore aujourd’hui. Je suis à Tamié depuis soixante ans, dont cinq ans passés en Afrique comme père maître des novices. Je ne regrette rien, pas même mes fautes ! Je ne suis pas fier de mes soixante années comme moine, mais j’en suis très heureux. »
Vie chrétienne : « Comment accueillez-vous la vieillesse ? »
Frère Anthelme : « Je suis content de la vieillesse, car c’est le signe que je me rapproche du Bon Dieu ! Sur le plan physique, ce qui m’ennuie le plus, c’est de déranger pas mal de frères, par exemple, celui qui vient de m’aider à changer la pile de mon appareil auditif.»
Vie chrétienne : « Y a-t-il des souffrances, des renoncements ? »
Frère Anthelme : « Oui, je regrette de ne plus pouvoir célébrer l’eucharistie. La sensation physique me manque. C’est difficile de plus pouvoir prendre l’hostie, le calice, dans mes mains, à cause de la maladie de Parkinson. Mais je concélèbre avec mes frères. Certes, je ne fais plus d’homélies. J’aimais bien les préparer puis les donner. C’est un renoncement. Certains jours, c’est dur. Mais j’ai été heureux toute ma vie et n’ai pas le droit de me plaindre ! J’ai quelques accrocs… mais c’est bien. J’aurai quelque chose à apporter au pique-nique céleste ! Au Festin du Royaume, on apporte ses joies, ses peines, ses souffrances. Chacun apporte sa part, mais on reçoit plus que l’on ne donne. »
Vie chrétienne : « Avez-vous peur de la mort ? »
Frère Anthelme : « Je crois que je suis attendu. C’est une grâce. Je crois aussi beaucoup aux dernières tentations. J’appréhende les derniers moments, car je ne sais pas combien de temps cela va durer. Peut-être vais-je souffrir à ce moment- là ? J’attends que le Seigneur vienne me chercher, ou plutôt, je vais à sa rencontre… Une image me vient : nous sommes comme deux personnes derrière une vitre, chacune de son côté. « Je ne meurs pas, j’entre dans la vie » a dit Ste Thérèse de l’Enfant Jésus. Je plains les gens qui vieillissent mal, qui ont peur, ou qui n’ont pas la foi. J’ai beaucoup de compassion pour eux. »
Vie chrétienne : « Connaissez-vous le doute ? »
Frère Anthelme : « Une de mes inquiétudes serait de douter de la foi. Cela arrive ! Tout le monde y passe. Jésus, car il est vrai homme, a été tenté sur la Croix. Marie a sans doute aussi traversé cette tentation. »
Vie chrétienne : « Quelle est votre espérance ? »
Frère Anthelme : « J’attends le paradis où nous serons beaucoup plus heureux qu’ici. Nous y sommes attendus à bras ouverts ! Je suis très aimé, depuis bien avant ma naissance. J’en suis de plus en plus sûr. Dieu est heureux de ma venue au monde. C’est lui qui me fait dire cela. Il sera heureux quand il me verra près de lui. Il ne lui manque qu’une chose : ma joie. »
Petite histoire contée par frère Anthelme
Le moine, le malin et la joie
« Il y avait sur terre un moine très solide, très pur, parfait. Impossible de tenter cette âme. Tous les diablotins s’y étaient cassé les dents et arrivaient bredouilles chez Lucifer. Mais un discret petit diable déclara : « J’ai une potion très efficace : une goutte le soir, une goutte le matin et l’âme ne peut que succomber. » En effet, dès le lendemain, le moine devint très agressif, voulant tuer tout le monde. Ce poison terrible, c’est la tristesse, une des pires tentations. Mais dans un ultime réflexe, le moine s’adressa à Marie, qui lui offrit alors un contrepoison : un tonneau de joie, que le moine répartit en trois parts, une pour lui, une pour les autres, et la dernière, la plus importante, pour Dieu. »
Dans la Bible : Sophonie 3, 16-18 - Ce jour-là on dira à Sion : Sois sans crainte, ne laisse pas tes mains défaillir ! Le Seigneur est au milieu de toi. Il exultera pour toi de joie, il te renouvellera par son amour ; il dansera de joie avec des cris de joie, comme aux jours de fête.
Jérémie 32, 41 - Le Seigneur dit : Je leur donnerai un coeur nouveau. Je conclurai avec eux une alliance éternelle. Je trouverai ma joie à leur faire du bien.
Jérémie 33, 4. 6. 8 - Ainsi parle le Seigneur : Je les guérirai, je leur dévoilerai les richesses de la paix et de la sécurité, je les purifierai de tous leurs crimes en se révoltant contre moi, ce sera pour moi un sujet de joie, un titre de gloire.
Isaïe 62, 5 - Comme un jeune homme épouse une vierge, ton créateur t'épousera, et comme le mari se réjouit de son épouse, ton Dieu se réjouira de toi.
Isaïe 65, 18-19 - Le Seigneur dit : Je crée une Jérusalem de joie, un peuple d'allégresse. Je trouverai en Jérusalem, ma joie en mon peuple.
Isaïe, 42, 1 - Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui j'ai mis toute ma joie.
Psaume 104 (103), 31 - Gloire au Seigneur à tout jamais, que Dieu se réjouisse en ses oeuvres !
Sagesse 1, 13 - Dieu n'a pas fait la mort et il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. Il ne se réjouit pas de voir mourir les