Homélie Pâques 6
6ème dimanche de Pâques
« Même sur les nations païennes, le don de l’Esprit Saint avait été répandu » (Ac 10) Psaume : 97 (98) R/ Le Seigneur a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations. Chantez au Seigneur un chant nouveau, Le Seigneur a fait connaître sa victoire La terre tout entière a vu « Dieu est amour » (1 Jn 4, 7-10) « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 9-17) Évangile de Jésus Christ selon saint Jean © AELF - Paris 1980 Homélie
- Frères et soeurs, je vais peut-être affirmer quelque chose d'un peu fort, mais il me semble que les paroles de saint Jean, proclamées à l'instant dans l'évangile, et aussi dans la deuxième lecture, représentent le sommet de la Révélation. Toute l'histoire du peuple d'Israël, avec ses rois, ses prophètes, ses sages, tout l'Ancien Testament n'avait d'autre but que de préparer l'humanité à entendre et à accueillir la parole de saint Jean qui nous a été annoncée : « Dieu est amour. » Le mot « amour », avec ses harmoniques - le verbe « aimer », le mot « ami » - revient douze fois dans cet évangile et dix fois dans la deuxième lecture : c'est vraiment le refrain, le leitmotiv de cette musique sacrée. Et je crois que nous devrions laisser retentir longuement en nous ces paroles de saint Jean, jusqu'à en être imprégnés. Car notre vie serait profondément changée si nous étions habités par cette certitude : Dieu est amour. Toutes nos journées seraient comme ensoleillées par cette lumière. Tout nous parlerait de l'amour de Dieu : le réveil de la nature en ce mois de mai, avec les bourgeons qui éclatent sur les branches et les près qui s'habillent de fleurs nouvelles ; les visages de ceux que nous aimons ; et même nos péchés, que l'amour de Dieu peut toujours pardonner, et nos souffrances, que Dieu a voulu partager sur la croix pour que nous ayons la force de les porter avec lui. Pourtant, frères et soeurs, savons-nous vraiment ce que c'est que l'amour, ce que c'est qu'aimer ? Il y a tellement d'équivoques aujourd'hui au sujet de ce mot ! On en use et abuse si facilement dans le langage courant ! Nous nous en servons, parfois, pour justifier nos pulsions égoïstes et nos convoitises effrénées. Peut-être faudrait-il garder tel quel le mot grec du Nouveau Testament : αγάπη. Autrefois, on le traduisait par « charité », mais ce mot est tellement galvaudé dans le français actuel qu'on hésite à le reprendre. Enfin, qu'est-ce que c'est que cette αγάπη, l'amour selon l'évangile, l'amour qui ruisselle de Dieu le Père et qui, par le Christ et dans l'Esprit, se répand sur toute la création, pour revenir enfin à sa source ? Saint Jean nous donne une réponse magnifique dans les textes que nous venons d'entendre. Tout d'abord, il nous dit une chose fondamentale, c'est-à-dire que l'amour ne vient pas de nous, mais de Dieu. « Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, c'est lui qui nous a aimés. » Nous croyons un peu trop vite que nous pouvons aimer par nos seules forces : mais la réalité aura tôt fait de nous ôter nos illusions. Surtout, comment saurions-nous aimer Dieu, l'Inconnu, l'Invisible ? Heureusement, Dieu ne nous demande pas cela. Dieu nous demande tout simplement d'accueillir son amour à lui, cet amour que son Esprit saint répand dans nos coeurs largement, gracieusement. Toute la Bible nous raconte cette histoire d'amour : l'amour d'un Dieu qui se penche sur l'homme pour l'attirer à lui, depuis l'appel d'Abraham jusqu'à l'envoi dans le monde du Fils unique, le bien-aimé ; comme le dit si bien S. Bernard, dans le Christ « Dieu s'est fait tel qu'on puisse l'aimer. » Cet amour nous entoure, il s'offre à nous, mais il ne force jamais notre liberté. Nous pouvons nous ouvrir à lui, nous laisser envahir par lui, jusqu'à l'intimité la plus profonde : « Demeurez dans mon amour. » Mais nous pouvons aussi lui fermer notre coeur, refuser cet amour, et cela - à Dieu ne plaise ! - d'une manière définitive, car Dieu respecte notre choix. Que se passe-t-il, en revanche, si nous accueillons l'amour de Dieu, si nous en faisons l'expérience par la foi, dans la prière, la liturgie, les sacrements ? Eh bien, nous ne pouvons pas garder cet amour enclos en nous-mêmes : une force nous pousse à le répandre autour de nous, dans une sorte d'irradiation irrépressible. C'est à cela qu'on reconnaît si un amour vient de Dieu. Il n'enferme jamais deux êtres dans un face à face exclusif, fusionnel, et finalement stérile. Au contraire, c'est un amour fécond, ouvert aux autres, jusqu'au don de la vie pour ceux qu'on aime, à la suite du Christ et à son exemple. Mais ce n'est pas là un chemin de frustration, de tristesse ; bien au contraire : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. » Frères et soeurs, je suis sûr que vous l'avez goûtée, cette joie, au moins par moments, dans telle ou telle occasion. Chaque fois que vous avez choisi de sortir de vous-mêmes pour secourir quelqu'un dans le besoin, pardonner une offense ou un tort reçu, partager avec un pauvre, un affamé, écouter et consoler une personne en détresse, n'avez-vous pas senti votre cœur se dilater, n'avez-vous pas savouré ce fruit délicieux de l'amour qu'est la joie ? La joie du don. C'est alors que nous connaissons vraiment Dieu. « Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. » Ou plutôt, nous commençons à le connaître, à goûter, dans un mystérieux pressentiment, ce qui fera notre joie pour l'éternité. Amen.
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